Serafina Steer: Conteuse d’histoires sur fond de harpe.

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Album : The Moths Are Real

Note: 8/10

Elle sortait son 3e album chez Rough Trade en janvier dernier. Serafina Steer, du haut de ses 31 ans, nous a surpris avec une énorme claque. « The Moths Are Real » signe en l’accomplissement d’une recherche musicale pertinente et l’expression d’un incroyable univers. Et puis, au fil des années , la jeune femme a affuté son arme magique, la harpe, qui donne tant de singularité à son oeuvre et a ses sonorités. Retour sur un joli début de carrière et sur cet album aux notes enchanteresses.

Serafina+Steer+sefaingarden2006 – 2007. Serafina Steer débarque officiellement dans le monde de la musique avec un premier album, « Cheap Demo Bad Science »  ainsi qu’un EP. Le son est déjà défini, d’une audace certaine, s’agrippant aux notes fluides d’une harpe. De formation classique – et cet héritage est bien apparent dans sa composition – , la jeune femme s’accroche et réussit un pari que peu ont su relever : arriver à se projeter, à partager, et à créer un univers cohérent à travers des mélodies incroyables s’appuyant sur une harpe. Le tout sonne pourtant assez contemporain, sans compter que l’artiste est sans aucun doute une bonne lyriciste,  balayant notre quotidien avec autant de facilité que ses mains glissent sur son instrument. Serafina Steer nous touche. Notes légèrement dramatiques, on sent tout de même que la jeune femme se cherche encore, s’essayant à des ajouts d’instruments assez divers.  Le son final reste quelque peu instable : on s’adresse à nos oreilles sur un ton encore un peu fragile, hésitant, mais le charme de l’innovation et du talent l’emporte.

Serafina+Steer+serafinaJusqu’en 2010, la jeune femme maintient sa production au beau fixe et continue de travailler: elle sort ainsi quelques EPs : rien de très innovant, mais le son reste de qualité. Puis, sort « Change is Good, Change is Good », nouvel album notamment marqué par un changement de harpe. On y retrouve ce qu’on aime chez l’artiste : sincérité, profondeur, subtilité, légèreté, compositions épurées mais travaillées, le tout avec une évolution musicale majeure où l’artiste s’impose. Cette année là, toute l’angleterre remarque la jeune artiste, rendue célèbre par de nombreux médias reconnaissant son talent, ainsi que des artistes tels que Patrick Wolf (avec qui elle collabore) ou Jarvis Cocker qui ne tarissent pas d’éloges à son sujet. Ce dernier parlera d’ailleurs de cet album comme l’un de ses favoris de l’année 2010.

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De Static Caravan, elle passe chez Stolen Recordings. Et puis, pour ajouter un peu de piment à son talent déjà incroyable, Jarvis Cocker lui donne son appui  et décide de la prendre sous son aile afin de produire un nouvel album.

I sent Jarvis a couple of emails — we’d met a couple of times — and he said he wasn’t a producer but to send some tracks anyway. Then we did two days in Shoreditch Church (in East London), where he suggested working on two of the demos I sent him, “The Removal Man” and “Skinny Dipping,” to see whether we could collaborate together and whether he liked being a producer. I think what was good — apart from that he’s terribly nice — is that I don’t know him so well, so it was good to have that respect. – « J’ai envoyé à Jarvis quelques e-mails – nous nous étions rencontrés à quelques reprises – et il m’a répondu qu’il n’était pas  producteur mais de lui envoyer quelques chansons quand même. Nous avons ensuite essayé pendant deux jours de travailler ensemble à Shoreditch Church (dans l’East de Londres), où il a suggéré que travailler sur deux des démos que je lui avais envoyé, « The Removal Man » et « Skinny Dipping », pour voir si une collaboration entre nous pourrait marcher et si il pourrait endosser le rôle de producteur. Je pense que ce qui était vraiment bien – à part le fait qu’il soit terriblement gentil – est le fait que je ne le connaissais pas vraiment, c’était donc bien d’avoir ce respect de sa part pour mon travail. »  (source) .

Dans une autre interview, elle ajoute : « (Cocker is) unfazed by big ideas. He wanted a musical landscape, using other instruments to guide the listener and make my songs more evocative. » – « C’est une intarissable source de grandes idées. Il voulait créer un paysage musical, en utilisant de nouveaux instruments afin de guider l’auditeur et de rendre mes chansons beaucoup plus évocatrices » (source)

Le tout sans pour autant rendre évidente sa marque de fabrique sur un album qui reste dans un style très éloigné du sien. Belle collaboration.

SerafinaSteer_The-Moths-Are-Real600G100113L’histoire nous amène donc à la sortie, en janvier dernier, de « The Moths Are Real ». 14 janvier 2012, c’est la claque. Les moins exigeants penseront à Florence + The Machine. L’erreur est alors trop simple, trop facile. Au risque de s’aventurer sur les routes sinueuses des « albums de la maturité », ‘The Moths Are Real’ signe un accomplissement assez incroyable aux sons évolués, pensés, achevés. Les mélodies sont poussées dans leurs retranchements maximums. La harpe est toujours là pour accompagner, créer une harmonie, sans jamais s’épancher, légère et envoutante,maniée avec justesse et sagesse.

« The harp comes with a lot of baggage, physically and literally. On The Moths Are Real, I tried to use the harp more as other people might expect to hear it. I wasn’t trying to be willfully oblivious to the fact that it is quite swoony — I wanted to use the glissando and the cosmic potential of it, all the effects to make a whole world. I think before I thought it was more subversive to ignore that and just treat it as a guitar. » – « La harpe vient avec de nombreux bagages, physiquement et littéralement. Sur « The Moths Are Real », j’ai essayé d’un peu plus utiliser la harpe, comme les gens devaient s’y attendre. Je n’ai pas voulu essayer d’appuyer le fait que ce soit très intense – j’ai voulu en utiliser le glissando et le potentiel « cosmic »;  tous les effets pour créer un univers. Je pensais qu’avant il était plus subversif d’ignorer cette possibilité et d’en jouer comme si c’était une guitare. » (source)

Ce qui aurait pu être un accomplissement simplement instrumental est un accomplissement total : de jeune musicienne aux paroles gentillettes, l’artiste est devenue une vraie conteuse d’histoires magnifiques à la fois simples et poétiques (« Night Before Mutiny », « The Ballad of Brick Lane », le magnifique « Machine Room », « Skinny Dipping », « Alien Invasion », « Has Anyone Ever Like You »…). Et puis, on notera les multiples collaborations : Jarvis Cocker, Steve Mackey, Capitol K, David Cunningham, Philip Glass… Qui aurait pu imaginer qu’il serait possible de proposer avec tant de simplicité des morceaux sonnant si contemporains? Qu’il serait possible d’évoluer, dans cette introspection musicale et personnelle, et de se bonifier avec le temps et l’expérience en proposant toujours plus? Et d’innover avec une harpe.

Serafina+Steer+ssIci, les genres se rencontrent: les influences folk et baroque se marient avec des sons modernes. Une grâce certaine survole des méandres de sentiments, de mots et de notes harmonieuses. Parfois, les sonorités sont à la limite d’une finesse quelque peu orientale (« Lady Fortune », « Island Odessy »), on tente un beat disco (« Disco Compilation »), on ajoute un peu d’orgue (« The Removal Man »)…de nombreux instruments et effets musicaux viennent compléter la richesse déjà présente : violons, guitares, instruments incongrus et rythmes travaillés dansent et virevoltent au son de la voix de Serafina. En résulte une matière mouvante, une guerre des impressions et d’ambiances sombres, brillantes, obscures et légères. L’intéressée, elle, compare son album à un labyrinthe aux nombreux chemins possibles. 

Le tout surprend,  dépasse les catégorisations possibles. Identité incroyable d’un album aux milles visages, comme si son interprète nous dévoilait enfin les multiples facettes de son talent. Joli voyage dans un univers signé Steer.

Serafina

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